Webzine Le Net Blues
-- Par: Sylvain Chartrand
sylvainch@videotron.ca
Radio Le Net Blues
Dan Behrman
Entrevue
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Né à Paris (1950) d'un père américain et d'une mère ukrainienne, Dan Behrman a longtemps vécu aux États-Unis où il a beaucoup contribué à un travail d'éducation et de développement avec la world music avant de s'installer au Canada, en 1991. Depuis presque 30 ans, Dan contribue activement à faire connaître les musiques du monde, le jazz, le blues et la musique acoustique contemporaine. Il a été à la fois gérant d'artistes internationaux, consultant, diffuseur et directeur de tournées dans le monde entier. On se souvient, entre autres, de lui pour son implication au Festival international de jazz de Montréal et aux FrancoFolies pendant plusieurs années.

C'est en échangeant des courriels et au cours d'une conversation téléphonique très intéressante que j'ai réussi à interviewer et mieux connaître le personnage. J'ai appris que «Big Dan Banane» est intéressé et concerné par un tas de choses… Pacifique mais non pacifiste à tout prix. Il se considère un peu «naïf» mais pas «niais» et a tendance à trop travailler. J'ai tenté à travers sa vaste expérience de mieux comprendre la musique Blooze (comme il semble le prononcer). Pour lui, la musique fait partie intégrale de l'héritage, des coutumes et du patrimoine de certaines cultures et le blues n'est pas juste une musique d'ambiance ou un simple loisir.

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Dan dans son studio

 
-- Voici ce qu'on obtient quand on demande à Dan Behrman de nous parler de blues: 
Je pense que le blues est tout d'abord une émotion comme le saudade brésilien. Cette émotion, telle qu'exprimée par des peuples d'origines différentes, prend des formes également différentes selon d'où elle vient. Le blues original, tel que nous le connaissons (Mississippi Delta Blues, Country Blues, Chicago Blues, Blues Lounge etc.) vient du sud des États-Unis où certaines circonstances historiques, religieuses, culturelles et économiques ont donné naissance à ce style de musique bien précis qui s'appelle le Blues. 

Pour moi, le blues est, à la base, un idiome musical afro-américain qui a été emprunté et imité par les nord-américains blancs qui ont, éventuellement, développé leur propre style unique. Techniquement parlant, le blues est très facile à jouer: Trois accords et douze mesures! Rajouter à ça une certaine façon de jouer et de chanter et hop, le tour est joué! Mais, et c'est ça qui donne à cette forme musicale sa facture unique et inimitable, le blues est aussi et surtout le résultat d'un parcours de vie puisant sa source dans un patrimoine spirituel, historique et social remontant à plusieurs générations et il n'y a pas de lézards ou de «solutions miraculeuses»: On l'a ou on ne l'a pas, c'est aussi simple que ça! 
J'ai beaucoup de respect pour les artistes étrangers venant de pays aux passés difficiles (guerres, crises économiques et sociales, censure, racisme etc.) utilisant le blues comme idiome et s'exprimant dans leurs langues d'origine tel que certains bluesmen venant d'Europe de l'Est où ils ont bouffé leur quota de vache enragée. 

Il m'est, par contre, difficile de ressentir de façon profonde des blancs ayant grandi dans le cocon d'une banlieue confortable quelconque située dans un pays développé et prospère. Je peux reconnaître et parfois admirer la virtuosité technique de ces musiciens mais si «l'essentiel», c'est à dire l'expression musicale et animale de la frustration, de la rage et de la sagesse ne sont pas là, je décroche rapidement. Je n'y peux rien, c'est carrément instinctif!

ENTREVUE:

Comment arrive-t-on à capturer un Behrman vivant? 
Pas compliqué et même pas besoin de le capturer car il est tout simplement LÀ! 

Pourrait-on appeler la musique que tu affectionnes de musique fourre-tout?
Pas vraiment. Pour moi, il n'y a que deux catégories de musiques: la bonne et la mauvaise! Ces deux sortes se retrouvent dans tous les styles de musique existant. J'aime tout ce qui est sincère et sort des tripes et j'ai beaucoup de difficultés avec les «recettes de cuisine», musicales ou autres, destinées à séduire, à plaire, et à vendre. Je respecte les artistes qui s'expriment d'abord et avant tout et, étant curieux de nature, j'adore découvrir des «perles rares» et faire en sorte qu'elles seront découvertes par d'autres peu importe l'art et la manière.

Pourquoi cette volonté, cet engagement dans la musique tout au long de ta vie? 
Hmmm, je n'y peux rien, j'ai toujours eu cette étincelle qui m'a motivé à monter au créneau, que ce soit en manageant et en tournant de par le monde avec des artistes obscurs venant des endroits les plus reculés de la planète ou en présentant depuis trente ans des musiques totalement  inconnues à la radio new-yorkaise ou canadienne. Je pense que la musique a un pouvoir rassembleur immense ainsi que la capacité de faire passer des messages importants de toutes sortes en faisant appel aux émotions et aux instincts qui nous animent au plus profond de nous-mêmes. C'est une forme d'expression qu'il faut chérir et cultiver et qu'il ne faut surtout pas vulgariser car elle est trop précieuse et possède le pouvoir de contribuer à faire en sorte que notre monde soit meilleur

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Dan à la SRC

 
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Gala Lys Blues 2006
Et le blues québécois, tu le vois comment par rapport au blues américain ou international? (Je sais pour l'avoir lu ailleurs qu'il affectionne les artiste puristes tel que Rob Lutes, Michael Jerome Brown et Ray Bonneville). Ouch, question-piège pour le «puriste» en moi! Pourtant, je me considère comme étant assez ouvert à tout ce qui se présente. Enfin, je ne peux pas comparer le blues québécois au blues américain à moins qu'il provienne d'un québécois noir ou du moins anglophone. S'il vient d'un musicien francophone qui ne s'exprime pas bien en anglais, je le remarque tout de suite et ça me dérange de façon instinctive et esthétique. S'il vient d'un musicien anglophone, ça passe déjà un peu plus facilement à condition que ça soit sincère et non un exercice de style destiné à en mettre plein la vue de ceux ou celles qui l'écoutent.

Certains artistes québécois (et autres) font du blues de façon commerciale et empruntée aussi bien qu'ils font de la pop ou de la dance et ça me laisse complètement froid. De plus, s'il s'agit d'un artiste chantant en anglais mais dont la langue naturelle n'est pas l'anglais, il sacrifie automatiquement son originalité linguistique et culturelle pour rejoindre le lot de tous les artistes anglais ou américain s'exprimant dans la langue de Shakespeare et on ne peut que le comparer à ces musiciens américains au lieu de le différencier. Je préfère de beaucoup entendre Tadeusz Nalepa chanter son blues en polonais ou Amar Sundy chanter le sien en arabe, même si je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'ils chantent, qu'un artiste français, allemand, espagnol ou québécois chanter en anglais.  D'autre part, tout comme il n'est pas vraiment naturel pour un vieux briscard sorti de son champ de coton de la Caroline du sud de turluter ou de faire du rigodon, le blues n'est pas vraiment un mode d'expression immédiat pour un p'tit gars de Chicoutimi ou du Plateau Mont-Royal si tu vois ce que je veux dire. En d'autres mots, on apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces et c'est d'ailleurs très bien comme ça!

Ceci étant dit, il y a de bons bluesmen au Québec et au Canada et je suis très content qu'ils soient là. Néanmoins, il y en a aussi de très mauvais comme partout ailleurs d'ailleurs!


 
Dan sachant que tu admires les gens comme Gandhi, Mandela, Jimmy Carter, Michaëlle Jean, Golda Meir, Léon Blum, Émile Zola, Ezra Pound, Woody Guthrie, Leadbelly, John Lee Hooker, Jack Kerouac, Bob Dylan, Higelin, Victor Jara, Richard Desjardins, Leonard Cohen, Dick Annegarn, David Broza, Oliver M'tukudzi, Erik Satie, Michael Moore, Martin Scorsese, Coluche etc. Quelles ont été tes grandes rencontres, d'abord dans le blues et dans tous les genres confondus? 

J'ai travaillé pendant les années '70 comme ingénieur du son au célèbre Folk City qui fut La Mecque new-yorkaise du folk et du blues et, ce faisant, j'ai rencontré et travaillé avec des artistes qui étaient en fait les héros de ma jeunesse car mon père me les faisait entendre. J'ai donc eu l'honneur et la grande joie de faire connaissance avec Brownie Mc Ghee, Odetta, Ramblin' Jack Elliott, Pete Seeger, Dave Van Ronk, Louisiana Red, Taj Mahal, Leon Redbone, Victoria Spivey, Johnny Winter, Bob Dylan, Joan Baez et j'en passe. Faisant déjà de la radio à l'antenne de WFMU, 91.1FM à East-Orange, NJ et de WBAI 99.5FM à NY, j'ai invité pas mal de ces musiciens à venir jouer et à discuter le bout de gras de façon complètement informelle lors de mes émissions hebdomadaires et ce fut un très grand privilège ainsi qu'une superbe expérience musicale dont j'ai d'ailleurs gardé les enregistrements. 
Plus tard, alors que je manageais une assez grande quantité d'artistes de world music, j'ai eu l'occasion de tourner et de travailler étroitement avec des musiciens que j'aime et respecte énormément: Ali Farka Touré, Baabaa Maal, Ziggy Marley, Ladysmith Black Mambazo, Malicorne, Gabriel Yacoub, Dan Ar Braz, Silly Wizard, 3 Mustapaha 3, Kristi Stassinopoulou, Codona, Karen Young & Michel Donato, Ismael Lo, David Amram, Oregon, Bela Fleck, Oumou Sangare, Femi Kuti, Boukman Ekspéryans, Manno Charlemagne, Dissidenten, Michael Hedges, Tommy Emmanuel, Peppino D'Agostino, Angélique Kidjo, Toots & The Maytals, Paul Winter et j'en passe.

Sans compter les nombreux ensembles gospel inconnus avec lesquels j'ai travaillé pendant longtemps dans les ghettos de la Côte Est car, pour gagner ma vie à l'époque, j'enregistrais pour le compte de diverses églises baptistes les choeurs de gospel qui avaient besoin d'albums afin de les pouvoir les vendre aux membres de leurs congrégations ainsi que pour participer aux nombreuses compétitions inter-églises qui ont lieu dans le circuit du gospel américain… 

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Avec Laurier Gagnon Café Campus 2005

J'ai aussi rencontré un nombre incalculable d'artistes légendaires lors des 8 années que j'ai passées à programmer les scènes extérieures du Festival International de Jazz de Montréal et des FrancoFolies et une chose est sûre, je n'échangerais pas ces rencontres et ces expériences pour rien au monde, bien que certaines d'entre-elles ont été décevantes sur le plan humain

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Grande soirée blues
d'espace musique au Spectrum
2006
Vers quoi aurais-tu envie d'aller maintenant? 
Comme d'habitude, je vais là où la Vie m'emmène. Où ça sera, eh bien, je n'en ai aucune idée mais tout ce que je sais, c'est que j'ai eu la chance et le privilège de non-seulement mener un parcours vraiment passionnant sur le plan humain et artistique, et que j'ai réussi, je ne sais pas trop comment d'ailleurs, à gagner ma vie de façon honorable en faisant les choses que j'aime de façon parfois aventurière peut-être, mais toujours avec éthique et  honnêteté. 
Cette nouvelle porte qui s'est ouverte à moi il y a deux ans sur les réseaux nationaux d'Espace 
musique/Radio-Canada et de CBC (j'anime également l'émission mensuelle Routes-Montréal à l'antenne de CBC-Radio One) constitue un défi de taille car je dispose maintenant d'un médium colossal pour diffuser des artistes de toutes sortes, exprimant à travers leurs musiques et souvent de façon non-verbale, des messages positifs importants car les habitants de notre pauvre planète en ont bien besoin. 
Il est crucial pour moi de contribuer à démystifier le médium trop souvent galvaudé de la radio en étant honnête, de bon goût et simplement moi-même tout en présentant un contenu de musiques, d'idées et de concepts allant chercher les gens au plus profond d'eux-mêmes naturellement et sans aucun artifice bon marché. 
Bien que les moyens de communication dont nous disposons au jour d'aujourd'hui n'ont jamais été aussi développés, les gens n'ont jamais été autant seuls et c'est assez navrant. Je pense qu'il est important que ces personnes, solitaires par défaut, aient accès à des animateurs qui soient aussi des amis avec lesquels ils peuvent se sentir bien au travers des ondes.

Ce ne sont certainement pas les supposées «vedettes» de la radio, de la télévision et du «monde du spectacle» en général qui vont les faire se sentir de cette façon! Alors, si je peux être utile dans ce sens et contribuer de manière positive et chaleureuse au bon goût et au bien-être des auditeurs et de la société dans laquelle je vis, eh bien, ça me fait plus que plaisir. Je pense que nous avons tous et chacun un devoir, une sorte de mission en ce bas-monde, que nous le sachions ou non. J'ai l'impression que rapprocher les gens les uns des autres en démystifiant par la musique les concepts négatifs associés au différences culturelles et/ou nationales a toujours été et reste encore ma mission. Alors, je me croise les doigts et non les bras en espérant pouvoir la mener aussi loin que possible tout en ayant du plaisir à le faire.

Merci beaucoup pour ta générosité Dan. Quand à moi je vais continuer de t'écouter à la radio, question d'avoir du bon temps et de m'instruire sur le blues et la bonne musique en général. 

C'est moi qui te remercie Sylvain. À bientôt j'espère.

On peut entendre Dan Behrman à l’antenne d’Espace musique / Radio-Canada le samedi et le dimanche soirs entre 20H & 22H (heure de l’est) ainsi que le vendredi entre 17H & 20H00 entre Winnipeg, MA et la Côte Pacifique. On peut aussi le joindre par courriel à dan_behrman@radio-canada.ca
 

Sylvain Chartrand

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