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Par: Réjean Nadon
courrier@lenetblues.com Photos: Source Pierre Jobin |
![]() Festival d'été de Québec 2004 |
La première fois que j'ai parlé
à Pierre Jobin c'était à l'occasion du Festival de
Jazz de Montréal, tout près de la scène Blues.
Notre rencontre fût de courte durée, entre deux spectacles
au programme et poutant on aurait dit que je le connaissais depuis des
lunes. J'avais été impressionné par sa courte description
du spectacle que nous venions de voir. Je me souviens aussi de ses écrits
sur son site web Les Amis du Blues qui était à l'époque
la référence francophone du blues de chez nous. Encore aujourd'hui,
son expertise est demandée afin de décrire certains albums
sur des publications tel le Blues & Co de France et Québec Audio.
Il m'a souvent dépanné en décrivant sur Le Net Blues
des événements de Québec et des reportages voir jusqu'en
Gaspésie. Un mentor qui a été une souce d'inspiration
et qui a accepté de jouer à l'intervieweur interviewé.
Un parcours impressionnant, des rencontres artistiques internationales et maintenant il aimerait offrir aux artistes et Bluefans ses propres compositions. Voici tout en photos, l'entrevue réalisé via le web en collaboration avec ce grand reporter. |
Si nous reculons dans le temps, qu’est-ce
qui t’as amené vers le Blues ?
Le feeling de la guitare d’Albert King m’a rejoint directement dans les tripes à l’adolescence. C’en était fait, j’étais accroché. Pourrais-tu me raconter tes contributions vis-à-vis
le Blues ?
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![]() In Step Tour - Été 1989 |
![]() Québec 1996 |
CKRL MF 89.1 à Québec, les vendredis
ou samedis soirs, dont Blues Atout, Blues Illimités et Les Mousquetaires
Bleus en alternance avec Denys Duchêne ; au moment de cette dernière
série d’émissions, je présentais une émission
aux deux semaines, car je voulais ralentir, étant très impliqué
dans la revue Les Amis du Blues, une «passion de fou» menée
à 200 milles à l’heure. Ça a duré 4 ans et
demi, un record dans les annales québécoises, car la couple
d’autres tentatives ont duré 2 -3 numéros. Y’avait quelques
piliers formidables, quelques passionnés, des correspondants à
Montréal, parfois en région et en France, dont Arol Rouchon
fondateur de la revue Blues & Co, puis maintenant de BCR pour Blues’country
et Rock n’ Roll et Gérard Herzhaft, une sommité mondiale
du blues, auteur de l’Encyclopédie du Blues, publiée en 7
langues au moins, écrivain et musicien. Il est aussi l’auteur
du Que sais-je ? sur le Blues, de Larousse, de celui sur le Country, etc.
etc. etc.
Avant mes rencontres avec plusieurs bluesmen, son «encyclopédie» me servait déjà de livre de chevet pour mes émissions de radio. Puis le premier bluesman que j’ai rencontré et interviewé, c’était Jimmy Rogers, guitariste de la première heure du Chicago Blues de l’Après-Guerre, dans le band de Muddy Waters. Je pouvais difficilement rencontrer type plus sympathique et intéressant. Il avait autour de 70 ans, bien calme, bien cool, je sais que ça a l’air prétentieux, mais, pour moi, je l’ai surnommé «Sweetman». Il m’a vraiment ouvert le cœur et l’esprit sur le monde Mississippi-Chicago et sur sa philosophie de vie, en allant directement à l’essentiel. |
Ce truc de performer-amuseur, je venais de le
voir dans la soirée, au D’Auteuil, à Québec. Guitar
Shorty était descendu dans la salle pour jouer de la guitare, jusque
là, rien d’étonnant! Puis, tout en jouant, il s’était
mis à tasser les chaises avec ses pieds, je trouvais cela spécial…
Commençait-il le ménage avant le temps ? Puis, après
avoir dégagé une allée dans la salle, il s’est reculé,
s’est élancé de quelques enjambées et a fait une pirouette
avant de 360° la guitare dans les mains pour retomber sur les pieds
et continuer à jouer de la guitare. Quelle belle façon de
marquer une pause dans un solo et pour un performer-bluesman de laisser
sa trace personnelle ! Ce ne serait rien, sans doute pour un bluesman,
si ce n’était que plusieurs de ses albums sont très bien
cotés, comme par exemple My Way on the Highway sur étiquette
JSP qui a reçu 5 étoiles sur 5. Donc, les bluesmen, principalement
de la vieille génération ont beaucoup contribué à
me transmettre une certaine proximité par rapport au blues.
Quelle a été ta plus belle ou
plus importante rencontre/entrevue ?
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![]() Festival Les Nuits Black - 1995 |
Tu as des relations artistiques et amicales avec plusieurs amis bluesmen et intervenants de la France ?
![]() Entrevue dans l'autobus de tournée - Québec 2004 |
Dans les débuts de la revue Les Amis du Blues, je reçois un appel du père d’un passionné de la note bleue qui me dit, attendez, je vous passe mon fils. Croyant avoir affaire à un enfant, je réponds. Et j’ai effectivement un passionné au bout du fil, c’était Arol Rouchon qui démarrera plus tard Blues & Co, puis BCR, la revue. C’est un peu plus tard que je me suis aperçu que je ne parlais pas à un enfant, je ne sais pas combien de temps, exactement, m’enfin ! Puis Arol a contribué de ses articles sur le blues et les bluesmen français. Par la suite, il a fondé Blues & Co et j’ai écrit régulièrement dans cette revue sur le blues de toutes provenances qui se passait, ici. Ceci m’a fait connaître un peu dans le milieu, là-bas, ainsi que ça m’a fait connaître les productions françaises qui m’étaient acheminées d’outre-atlantique. Puis, un ou deux ans plus tard, mon héros-écrivain qui se décrit lui-même comme un bluesfan, Gérard Herzhaft venait au Québec et il devait notamment prononcer une conférence sur le blues au Salon d’Edgar, rue St-Vallier, à Québec. Ne vous demandez pas, j’étais là pour rencontrer ce passionné et érudit, ayant marché dans des coins reculés du Mississippi pour rencontrer de vieux bluesmen ou de vieilles blueswomen, obscurs pour la très grande majorité des bluesophiles . |
Aujourd’hui tu m’as fait parvenir un album
de tes compositions. Est-ce que tu voudrais nous expliquer ce nouveau projet?
Donc, je veux faire quelques tounes parce que je prends plaisir à transmettre une certaine vision d’une époque blues, vue au travers d’une lunette québécoise. J’espère que ça pourra intéresser au moins deux ou trois personnes, car je fais mienne cette phrase de «Les Mauvais Conseils» de Félix Leclerc, «Et si tu chantes, chante pour toi d’abord…» Je veux aussi faire d’autres blues originaux, notamment en français. J’en ai même un avec du latin «Errare Humanum Es». Je crois qu’un blues avec du latin, c’est une première ! Pour moi, il n’y a pas de frontières, pas de limites dans la création, seulement des ancrages avec les humains «et les humains sont de ma race», comme disait Vigneault. Au niveau des collaborations, je voudrais tout d’abord mentionner Normand Lacroix qui a capté les enregistrements dans son studio. Normand est un excellent guitariste avec beaucoup d’écoute et de goût. Ex-Dirty Blues Band, il est maintenant avec le Glen Gillis & The Blues Experiment, pour lequel il a réalisé le surprenant 2e album «The Letter D». Ensuite, je voudrais parler de Gilles Sioui, un guitariste recherché pour les enregistrements, que Kevin Parent est allé chercher pour jouer avec lui au Centre Bell. Qu’il ait accepté de participer à mes premiers balbutiements au niveau de l’enregistrement, m’inspire beaucoup. Il a trois CDs à son actif et un son à vous amener «on the other shore». Au violon, il y a Marek Bourgeois, qui mélange admirablement avec Gilles Sioui sur Mississippi Bluesman. Marek est membre du Cajun Blues Band de Jay Sewall, depuis une dizaine d’années. Il a toute une énergie ! Sur cette pièce, Clément Duhamel a fait la basse et Fernand Paré, un vieux routier du blues à Québec, la batterie. |
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MP3
#1 - Mississippi Bluesman
![]() MP3 #2 - Errare Humanumes MP3 #3 - Great Bluesmen MP3 #4 - Hi! Bird MP3 # 5 - Né dans la Mississippi |
![]() Festival International du Blues de Tremblant 1997 |
Great Bluesmen, j’l’ai fait tout seul, «live studio», un point de vue personnel à propos de bluesman qui m’ont touché, inspiré. C’est tel quel ! Sur Hi ! Bird, Normand Lacroix est venu rajouter une guitare underground et solo, après coup. Je trouve ça extra, il sait faire avec ! Le système était parfait, c’est juste mon strumming et ma voix, mais j’y entends des claviers atmosphériques et des chœurs pink floydiens. C’est comme le mouton dans la caisse du Petit Prince, vous imaginez ce que vous voulez comme arrangements. Le «great big system» truffé de mécanismes équilibrants et sophistiqués, peut-il être parfait sans la Tendresse ? Donc, ce projet, c’est pour moi une amorce de partage de passion et de créativité, sous une autre forme, plus personnalisée que ce que j’ai fait avant. Avant je relayais, les paroles et les expériences des autres en y mettant ma touche, maintenant, je passe à une autre étape, celle de proposer mes créations aux gens, parfois à l’état brut, comme une invitation à l’ouverture et au partage, pour aller plus loin de façon libre et créative… Si vous êtes, à quelque part, pittoresques, atypiques, un peu bizarre, flyés, créatifs, sincères, authentiques et que vous aimez raconter ou entendre des histoires fabuleuses, senties, vraies, épiques, drôles, colorées, cela pourrait peut-être vous intéresser. |
Est-ce que ce démo est une idée
qui te trottais dans la tête depuis de temps ?
Ce démo me travaille depuis longtemps. J’ai toujours aimé écrire, la chanson, la poésie... J’ai écrit beaucoup à partir des bluesmen ou artistes comme source d’inspiration, reportages, entrevues, critiques de spectacles, de disques, ce que je fais encore, d’ailleurs, pour les disques dans la revue Québec Audio & Vidéo, pour le reste parfois sur Le Net Blues ou encore dans des revues françaises. J’ai été rédacteur en chef de la revue Les Amis du Blues pendant quatre ans et demi et considérant les offres que j’ai eues pour écrire, je crois que je me débrouille pas mal, là-dedans. Maintenant, écrire son propre matériel pour soi ou pour les autres, ça a beaucoup plus de portée, d’implication, parce que le matériau de base, c’est toi ou ton inspiration, pas celle des autres; les limites à l’intérieur desquelles tu évolues, ce sont les tiennes, pas celles des autres. Quand on dit que la critique «ou le commentaire» est facile et que l’art est difficile, c’est relativement vrai pour la première partie de l’énoncé et sûrement très vrai pour la deuxième partie, car «sky is the limit», comme on dit. Donc, ça fait 5 à 6 ans environ, que j’écris plus particulièrement des trucs plus personnels et originaux. Est-ce que tu as le goût de monter sur
scène et y aura t-il un lancement ?
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![]() North Atlantic Blues Festival - USA 2002 |
![]() Cabaret du Capitole - Québec 2004 |
Qu’est-ce que tu aimerais que les gens disent
de ton album?
Qu’il s’y retrouve quelque chose d’inhabituel, d’original, de beau dans certains aspects, et que ça vaudrait peut-être la peine de surveiller… Ça fait plusieurs années que
tu patauges dans le monde du blues, est-ce que depuis les 20 dernières
années cette musique a évoluée chez-nous et/ou ailleurs
?
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Donc le blues évolue certainement vers plus de technique, mais à mon avis, ça ne devrait jamais se faire au détriment du f-e-e-l-i-n-g ou la transmission du senti de l’expérience. Ou sinon, est-ce encore du blues ou autre chose, qui par ailleurs, peut être excellent ? De façon sommaire, le blues se répand et évolue dans toutes les parties du monde et chaque peuple a ses musiques traditionnelles «Beats of the heart», qui sont en quelque sorte, ses blues tristes ou joyeux. Cependant, si l’on parle de la musique afro-américaine née au début du xxe siècle, je crois que le boom de l’âge d’or est passé. La naissance s’est faite dans le Sud des E-U, l’âge d’or a fleuri dans les villes industrielles comme Chicago, Detroit, Los Angeles, ensuite disséminé par les jeunes britanniques et les jeunes de la contre-culture américaine, pour se diluer sous diverses concentrations, un peu partout dans le monde avec le démembrement du Bloc de l’Est, l’ouverture des frontières, et le boom des moyens de communications, notamment avec internet. Heureusement, il existe beaucoup de témoignages sur disques et DVD de ces pionniers du blues et blues heroes, et tant que le monde sera monde, je ne crois pas que le blues puisse mourir. Il y en aura, ici au Québec, comme ailleurs pour tous les goûts et toutes les profondeurs. How blue can you get ? How do you want to be blues related ? C’est à chacun de décider. |
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![]() Festival International du Blues de Tremblant - 1998 |
![]() Festival Orage Blues - Québec 2003 Photos Gilles Bérubé |
Quel est ton album de blues préféré
?
Live Wire-Blues Power d’Albert King parce que c’est cet album qui m’a accroché au Blues. Parce qu’Albert King est un géant qui a du feeling et de la personnalité. Parce que son style de guitare est puissant et en a influencé plusieurs, dont Stevie Ray Vaughan. Parce que sa voix est puissante, pleine de feeling, qu’il est charismatique en communion avec les spectateurs. Parce qu’il est convaincant quand il prononce le mot Blues et que les gens sont prêts à le croire quand il dit «Would you believe that I have invented «Blues Power ?». Aussi, parce que c’est un album live et que pour moi, le meilleur album de blues est nécessairement live, en interaction avec le public qui peut s’identifier avec le vécu du performer bluesman, et par là se libérer d’un fardeau, en quelque sorte. Merci beaucoup de cette entrevue. Veux-tu adresser
quelques mots en terminant à nos internautes ?
Réjean Nadon |